Pendant longtemps, le lunetier n'a pas de statut très bien défini, car la fabrication de lunettes relève, à la fois, de la science de l'optique et des diverses techniques du verre, du bois, du fer et même de l'orfèvrerie .
LES PREMIERES LUNETTES
Dès l'Antiquité, on tente d'utiliser certaines pierres comme le cristal de roche, pour grossir les objets . L'optique fait ses premiers pas . C'est le scientifique arabe Albazen, qui, le premier, décrit le pouvoir grossissant des lentilles de verre, travaux repris par l'Anglais Roger Bacon (1214-1294), qui étudie la réfaction . certains d'ailleurs voient en celui-ci l'inventeur des lunettes plutôt que l'italien Salvatore Armati, cité aussi souvent mais, en réalité, on n'en sait rien ! Ce qui est sûr, c'est que les lunettes apparaissent , au XIIIème siècle, surtout en Italie . Sandro di Popozo, par exemple, en parle dans son Traité de conduite de la famille (1299) : "Je suis si altérée par l'âge que, sans cs lentilles appelées lunettes, je ne serais plus capable de lire ou d'écrire . Elles ont été inventées récemment pour le bénéfice des pauvres gens âgés dont la vue est devenue mauvaise . "Ces premières lunettes sont fabriquées par des amateurs, connaisseurs des sciences de l'optique et bons bricoleurs, souvent des moines, qui les offrent à leurs collègues copistes .
DES BESICLES A CLOU
Ces premières lunettes sont composées de deux cercles de bois reliés l'un à l'autre par un clou, enserrant des verres convexes . On les appelle "bésicles"car, faute de verre parfois, on utilise des pierres translucides, du béryl ou du quartz . Les lunetiers sont donc apparentés à plusieurs métiers . Les verriers et miroitiers d'abord, et c'est pourquoi à la fin du Moyen Âge, la ville de Murano, spécialisée dans la production de verre, est un berceau de la lunetterie . C'est là d'ailleurs qu'apparaissent les premiers principes concernant la qualité des verres à lunettes . Mais tous les lunetiers ne se fournissent pas à Murano et beaucoup surfacent eux-même leurs verres .
Au départ, il n'existe pas que des lentilles biconvexes pour la presbytie, puis, au XV ème siècle, apparaissent les verres concaves pour la myopie . Quant aux astigmates, ils doivent attendre le XIX ème siècle !
Le lunetier doit savoir fabriquer une monture en bois, en métal ou en cuir, toute la difficultés consistant à faire tenir les lunettes sur le visage . Le pince nez ou le face à main avec une tige sont les premiers à être inventés, comme ... les lunettes à rubans ou les lunettes fixées sur un bonnet ! Au début du XVIII ème siècle, les lunettes à tempes, équipées de branches droites qui enserrent la tête, sont créées . C'est en 1796 que la branche articulée qui se cale derrière les oreilles est enfin conçue, grâce à Pierre-Yacinthe Caseaux, cloutier à Morez, profession représentative du statut du lunetier qui, souvent, est un artisan du fer, cloutier ou ferblantier, ou un artisan de la corne et du bois, un fabricant de peignes . Certains encore sont orfèvres, car les lunettes, objets de luxe et véritables bijoux, sont parfois réalisées en or ou en argent . D'autre part, les lunetiers fabriquent aussi les "étuys" en bois, en métal ou en corne .
MERCIERS ET BIMBELOTIERS
Au XVIII ème siècle, les lunettes se démocratisent un peu et sont vendues par des merciers et des bimbelotiers ou des colporteurs, parmi d'autres objets, ustensiles de cuisine ou matériel de couture . On voit là que le lunetier n'est pas encore un véritable opticien, car les lunettes ne sont pas individualisées : on achète les moins mauvaises pour soi . En 1770 cependant, certains de ces vendeurs se spécialisent, en fondant la Compagnie des marchands miroitiers et opticiens qui ouvre boutique à Paris . Dorénavant, le client peut venir choisir des lunettes chez un spécialiste .
LE DEVELOPPEMENT DE LA LUNETTERIE : L'EXEMPLE DU JURA
Au XI ème siècle, la demande augmente, et la fabrication s'industrialise . Dans un premier temps cependant, le production se fait soit à domicile, soit dans de petits ateliers . Elle se développe surtout dans le Jura, autour de Morez et d'Oyonnax, pour plusieurs raisons . D'une part, Morez est un pays de cloutiers et d'horlogers, et Oyannax compte 600 "peigneux" en 1830, profession qui mènent aisément à la lunetterie . D'autre part, les lunettes étant facilement transportables, et leur fabrication puvant être divisée en plusieurs tâches simples, la production à domicile est facile à organiser . très attachés à leurs fermes, les lunetiers préfèrent en effet travailler chez eux à la morte-saison . Ils servent alors un ou plusieurs "établisseurs" qui revendent la marchandises, mais certains ouvrent aussi de petits ateliers . Morez se spécialise ainsi dans la monture en métal, tandis qu'Oyonnax reste attaché à la corne, puis au plastique .
article de Florence Fourré-Guibert